L’émancipation des femmes, aussi une affaire d’hommes
Rosa Bonheur et le travail animal : « Le Labourage Nivernais »

Militaire ou civile, la folie nucléaire

"Les crimes de ceux qui mènent ne sont pas la faute de ceux qui sont menés ; les gouvernements sont quelques fois des bandits, les peuples jamais"

Victor Hugo, 1860, condamnant le saccage du Palais d'été à Pékin par des troupes franco-anglaises

En hommage au peuple Ukrainien

 

La guerre en Ukraine éclaire violemment les zones d’ombre des thèses pro-nucléaires portées par de nombreux candidats à l’élection présidentielle en France. Ils sont en effet 8 sur 12 à vouloir son maintien ou son développement [1] ; seuls Jean-Luc Mélenchon, Yannick Jadot et Philippe Poutou veulent sortir du nucléaire. Le favori des sondages, Emmanuel Macron, vient d’indiquer qu’il donnerait son accord, s’il était réélu, pour la construction d’une première tranche de six réacteurs et une mise à l’étude de huit autres.

Les arguments nucléodoules [2] peuvent être résumés ainsi : certes, l’énergie nucléaire est dangereuse, mais ce danger en France est maîtrisé ; c’est une énergie décarbonée qui est un atout dans la lutte contre le réchauffement climatique ; elle favorise l’indépendance énergétique par la diversification des sources d’approvisionnement en énergie fossile [3] qu’elle permet.

A l’origine du risque nucléaire, son hyper-dangerosité

Attardons nous sur le premier argument qui tient en fait tout l’édifice rhétorique. Impossible en effet de défendre le nucléaire civil auprès des citoyens sans leur assurer qu’il est maîtrisé. Le nucléaire en effet fait peur, à juste titre. Il a déjà montré la force destructrice de son explosivité et de ses radiations. D’abord à Hiroshima et Nagasaki en 1945 sous sa forme militaire ; puis depuis 1979, sous forme de trois accidents majeurs de centrales ; le plus meurtrier se trouvant actuellement dans la zone de combat en Ukraine : Tchernobyl.

Si le danger n’est contesté par personne, il ne se manifeste que si les hommes – et plus largement les vivants – y sont exposés. On passe ainsi de la notion de danger, incontestable et incontesté, à celle de risque, objet central de la contestation. Le danger est ce qui affecte la continuité de la vie et peut aller jusqu’à l’interrompre brutalement ; le risque la possibilité d’exposition d’une personne à ce danger – autrement dit de faire une mauvaise rencontre... Nous avons, pour le nucléaire, la preuve de cette possibilité. A chaque accident d’ailleurs, les normes de sécurité s’accroissent sans garantir pour autant qu’elles soient suffisantes.

Les dangers sont multiples et consubstantiels à la vie. On peut mourir noyé, sous la torture, d’électrocution, du Covid ou d’une glissade dans une baignoire… Les formes sont diverses, mais la conséquence est la même : un attentat à la vie. Mais quelle est alors la spécificité du risque nucléaire qui fait qu’il inquiète tant ? Elle tient à la durée de nocivité des éléments à haute radioactivité et à l’extension de leur diffusion qui peut, par voie gazeuse ou liquide, franchir des centaines ou des milliers de kilomètres. La plupart des autres risques sont d’une portée nettement moindre dans l’espace et le temps [4]. L’électricité par exemple peut tuer mais on peut la couper pour que tout s’arrête et cela ne concernera que ceux qui auront été en contact avec elle. Rien de tel avec le nucléaire.

Deux critères principaux permettent de classer les substances radioactives : l’intensité de leur radioactivité et sa durée. Une substance de haute intensité peut être plus d’un milliard de fois plus active [5] que celle de faible intensité et les durées de vie peuvent aller de quelques jours à des milliards d’années [6]. Ce sont des chiffres qui dans leurs extrêmes ne sont pas à la hauteur de l’homme, mais de l’univers. C’est cela que les nucléodoules prétendent dominer sans trembler ?

La technique utilise les découvertes scientifiques pour les mettre au service des hommes. Elle peut produire aussi bien un réfrigérateur, un ordiphone qu’une bombe thermonucléaire. Mais si les hommes sont ingénieux, ce ne sont pas des démiurges. Ils ne créent pas le monde, ils le tournent à leur profit (enfin, pas toujours…) sans en changer les règles. Ils peuvent certes produire ce que la nature ne produit pas, par exemple des organismes génétiquement modifiés, des isotopes artificiels [7] ou des réactions en chaine, mais ils ne transgressent pas pour autant les lois biologiques ou physiques, ils ne font que les appliquer dans une direction que la nature n’a pas prise. Il faut toujours avoir en tête cela quand on parle du nucléaire.

Gérer le risque nucléaire, ce n’est pas le supprimer

Une centrale nucléaire ne produit pas que de l’électricité ; elle produit en même temps des risques et des déchets. La technique de fabrication de l’électricité est la même que dans les centrales thermiques classiques : on chauffe de l’eau pour la transformer en vapeur, celle-ci entrainant une turbine puis un alternateur qui va produire l’électricité. C’est la source d’énergie de la chaudière qui diffère : dans le réacteur, la chaleur est produite par la fission de noyaux d’uranium ou de plutonium. Des barres de contrôle et de l’eau borée sont chargées de contrôler la réaction en chaîne et de l’arrêter en cas de nécessité. La centrale est en outre dotée d’un système de refroidissement permanent pour éviter la fusion du cœur [8] qui est chauffé par les produits de fission. Un ensemble de systèmes de sureté complémentaires équipent la centrale, qui s’accroît sur la base de l’expérience acquise par les accidents précédents. Tout ceci, « afin de réduire les risques d’accident grave et en limiter les conséquences » [9]. Cet objectif est évidemment louable, mais aussi très inquiétant. C’est reconnaitre, à vouloir l’éviter, que le pire est toujours possible. En fait, nous avons créé de toute pièce un danger qui n’était pas présent sur terre et la seule manière de supprimer le risque qu’il génère, même si ça prendra maintenant forcément du temps, c’est d’arrêter de jouer avec lui.

Quels que soient les dispositifs de sécurité mis en place, ils peuvent être soumis à des épreuves inédites qui les mettent en défaut. Qui aurait dit qu’un jour, les Russes qui avaient tout fait pour limiter les conséquences de l’accident de Tchernobyl engageraient une guerre contre l’Ukraine qui met aujourd’hui en péril le site ? Qui peut assurer que jamais des frappes mal maitrisées – c’est le lot de toute guerre - aboutissent à détruire par erreur une installation ? Quid du changement climatique et de ses conséquences sur les cours d’eau ou les mers qui assurent le refroidissement impératif des installations nucléaires ? Quid des conséquences du prolongement d’activité de centrales conçues et construites à l'origine pour durer 25, 30 ou 40 ans ? Les nucléodoules qui nous assurent que le risque nucléaire est maîtrisé en France s’appuient sur le passé. De quelle connaissance du futur peuvent-ils se prévaloir pour nous convaincre qu’il ne nous arrivera rien ? En 40 ans, nous avons vécus 3 accidents majeurs. Eux qui aiment tant les connaissances acquises du passé pour prévoir l’avenir pourraient extrapoler combien cela pourrait signifier d’accidents et estimer leurs conséquences pour les 100 prochaines années ou sur 1000 ans qui après tout reste une petite échelle en matière de radioactivité. Beaucoup n’est ce pas ?

Des déchets bien encombrants

En France, ce sont les centrales nucléaires qui produisent l’essentiel des déchets radioactifs. Certains sont recyclables dans la production, pendant que d’autres n’ont plus d’usage possible ; on les qualifie alors de déchets ultimes. Ce sont évidemment ces derniers pour lesquels il faut trouver un moyen de les rendre inoffensifs.

Tous les producteurs de ces déchets doivent les déclarer à l’ANDRA, l’Agence Nationale pour la Gestion des Déchets Radioactifs, qui en publie tous les cinq ans un inventaire. On peut ainsi savoir où ils sont produits, de quelle nature ils sont et où ils sont stockés. Le plus gros volume concerne des déchets dits à vie courte. Mais comme il s’agit de radioactivité, cela suppose néanmoins de les gérer sur quelques siècles [10]. Une manière de donner du travail à nos descendants…

Les plus dangereux sont les déchets de haute activité. En volume, ce sont heureusement les moins importants [11], mais ils représentent 95 % de la radioactivité générée par l’énergie nucléaire. Qu’en fait-on aujourd’hui ou projette t’on d’en faire ?

La Société Française d’Energie Nucléaire est une association dont le Conseil d’administration est composé de hauts dirigeants du nucléaire français (EDF, CEA, Framatome, ANDRA…). Elle publie la Revue Générale du Nucléaire qui diffuse les arguments nucléodoules. Un parfait exemple de ceux-ci se trouve dans un article intitulé : « Déchets radioactifs, la vérité des faits et l’exactitude des chiffres ».

La revue s’adresse aux « esprits curieux » intéressés par le nucléaire sans en être des spécialistes, pour développer leurs connaissances à son sujet. Elle se veut donc pédagogique et n’hésite pas à utiliser des comparaisons audacieuses afin de rendre accessible des phénomènes complexes. Ainsi apprend-on grâce à elle que la masse des déchets les plus radioactifs et dangereux en France est « de moins de 10 tonnes », ce qui « tiendrait facilement dans un camion ». Un peu après, se rapprochant (un peu) du réel, ils corrigent cette estimation. En effet, pour pouvoir être stockés puis transportés, ces déchets sont en fait vitrifiés dans une proportion d’1/5° dans des conteneurs cylindriques en acier de 500 kilos, ce qui évidemment augmente leur volume. Certes, un camion ne suffit plus, mais comme ces « colis » ne représentent tous ensemble « que 3650 m3 », leur volume tiendra dans « une seule piscine olympique ». C’est beau la puissance des mots qui nous permet de rassembler ainsi des déchets hautement radioactifs sans avoir à les manipuler ni risquer d’être irradiés. Mais trêve d’ironie car le sujet est grave. Pourquoi chercher à en réduire ainsi l’importance si ce n’est pour rassurer les « esprits curieux » comme le serpent Kaa hypnotisait Mowgli : « les quantités de déchets potentiellement et durablement toxiques produits par l’énergie nucléaire sont extrêmement faibles rapportés au service rendu ». Ce « service rendu » qui permet encore de diviser la dangerosité vaut combien pour ces experts en chiffre ? 2, 100, 1000 ? Comment l’évaluent-ils ? Leur conclusion ne laisse aucune place au doute : « L’élimination de ces déchets « nucléaires » noyés dans une matrice pratiquement inaltérable (le verre) enfouie dans une formation géologique stable depuis plus de 100 millions d’années constitue une solution parfaitement sûre. Ces faits sont prouvés. Ils sont incontestables. »

Ils avaient en effet auparavant expliqué que « de toutes les options envisageables pour l’élimination définitive de ces déchets radioactifs, abondamment étudiées dans le monde, la seule solution qui apparaît comme parfaitement sûre est celle d’un stockage définitif dans une formation géologique profonde adaptée à un tel stockage ». L’heureux gagnant en France de la « piscine olympique » est Bure, un village de 80 habitants situé dans le département de la Meuse [12].

Si cette déclaration est juste, c’est un terrible constat d’échec. Depuis 60 ans que l’on utilise l’énergie atomique pour produire de l’électricité, on ne sait toujours pas gérer la réversibilité de ses sous-produits. Ce serait pourtant la solution la plus élégante et la plus sûre. On sait enrichir l’uranium naturel en uranium fissile de 0.7 % à 4 % pour des usages civils et à plus de 80 % pour des usages militaires ; on sait lancer des réactions en chaine et dans certaines conditions, les réduire ou les arrêter. On sait donc faire artificiellement ce que la nature ne fait pas, mais on ne sait pas quoi faire de certaines des conséquences de nos agissements. Et c’est donc à des apprentis sorciers qu’il faudrait faire confiance, eux qui n’ont comme seule solution que de mettre les cendres sous le tapis. 

 

« Aie confiance » extrait du livre de la jungle, Walt Disney

Avec le nucléaire, nous nous comportons comme de dangereux nains qui se prennent pour des géants. Il serait sage de le reconnaitre, de reconnaitre la limite de nos connaissances scientifiques et de notre pouvoir, et d’arrêter au plus vite une expérience qui avec le temps ne peut que tourner mal.

Des centrales bien difficiles à désarmer

Mais les déchets les plus encombrants, ce sont finalement les centrales elles-mêmes car ce sont des équipements productifs à haute intensité qui subissent un vieillissement rapide. Elles ne peuvent durer, pour des raisons économiques ou de sécurité, que quelques dizaines d’années seulement. Chooz A, le premier réacteur nucléaire français à eau sous pression a été arrêté en 1991 après 24 ans de fonctionnement. Fessenheim, la première centrale de deuxième génération dont les deux réacteurs ont été arrêtés en 2020 a été exploitée commercialement pendant 42 ans.

Toutes les installations de la « première génération » qui ont été construites dans les années 1950 sont aujourd’hui arrêtées : 36 sont en cours de démantèlement et 33 l’ont été complètement. Les 58 réacteurs électronucléaires d’EDF de la « deuxième génération », doivent à leur tour progressivement cesser leur activité puis être démantelés, Fessenheim inaugurant ce cycle.

Pour des raisons de dangerosité, le chantier de démantèlement qui doit aboutir à un assainissement complet du site, est long et complexe. Pour une paire jumelée de réacteurs de 900 mégawatt, EDF a retenu un délai de 25 ans entre leur arrêt et la réhabilitation du site [13]. Mais ce n’est qu’une estimation théorique à partir de laquelle beaucoup de dérives, financières et dans les délais, sont possibles ainsi que l’observe la Cour des comptes dans un rapport rendu en 2020. Il faut beaucoup plus de temps pour démanteler une centrale que pour la construire. Si on met de côté le cas de l’EPR de Flamanville qui n’est toujours pas en activité 15 ans après son autorisation de construction, les délais sont généralement beaucoup plus courts ; 7 ans par exemple ont suffi pour rendre opérationnel Fessenheim.

Le démantèlement est un processus long et complexe, qui suppose de prendre de grandes précautions afin que les travailleurs qui en sont chargés ne soient pas en danger d’exposition aux radiations. Cela suppose aussi une grande maitrise technique et des apprentissages car en France la série de fermetures de centrales de deuxième génération ne fait que commencer. Mais le démantèlement est aussi générateur d’une quantité importante de déchets qu’il faut évidemment évacués et qui vont s’additionner à ceux des centrales en activité. Ainsi, pour le réacteur de 900 mégawatts de Fessenheim, les déchets radioactifs bruts sont évalués à 18 000 tonnes pour une structure d’environ 380 000 tonnes. Sur cette quantité, 65 % sont des déchets de très faible activité, 34 % des déchets de moyenne activité à vie courte et 1% de moyenne activité à vie longue [14].

Comme l’ensemble du parc actuellement en activité a été construit en 25 ans, cela signifie que son démantèlement complet s’étalera de toute façon sur une grande partie du XXI° siècle. Ce long délai ne pourra toutefois être tenu qu’à condition d’être capable de mobiliser les effectifs, les compétences, les moyens techniques et les ressources financières nécessaires pendant toute cette durée…

Finalement, de tous les arguments nucléodoules qui visent à minorer les risques associés aux déchets nucléaires, le plus terrible est celui formulé par Jean-Marc Jancovici : « à choisir, ne vaut-il pas mieux échanger (ce problème) qui dure sur 1 000 ans, mais que nous sommes capables de transmettre à nos héritiers immédiats dans des conditions acceptables, contre un morceau d’un problème majeur qu’est le changement climatique, dont les effets catastrophiques peuvent survenir en moins d’un siècle, peuvent subsister pendant des milliers d’années (ou même plus), et que nous ne savons pas, aujourd’hui, transmettre dans des conditions acceptables à nos enfants ? » [15]. Dans cette vision d'un futur indésirable, le nucléaire deviendrait un amortisseur du changement climatique. Faute de pouvoir arrêter la prolifération d’émission de gaz carbonique sur la planète, n’arrêtons pas le nucléaire. C’est effectivement plus facile parce que cela relève de décisions centralisées et non pas du système socio-économique dans son ensemble. Et nous voici ainsi sommés de choisir entre la folie nucléaire et la folie productiviste…

Une proposition pour relever démocratiquement le défi nucléaire

Comment qualifier ceux qui proposent de poursuivre cette aventure ? S’ils obtiennent la majorité des suffrages aux élections qui viennent, ils vont décider d’une relance de la filière, mais seront-ils pour autant responsables ? Le vocabulaire ici est défaillant. Sont responsables ceux qui répondent de leurs actes. En quoi ceux qui disposent du pouvoir aujourd’hui pourraient répondre de décisions ayant des conséquences pesant sur les générations futures et plus largement sur le vivant ? Ils ne seront peut-être même plus là depuis longtemps quand ces conséquences apparaitront, si elles apparaissent. Ils auront donc décidé en toute irresponsabilité sur des échelles de temps qui nous dépassent infiniment.

Les systèmes socio-économiques qui dominent la planète ont depuis 200 ans des impacts écologiques sur notre planète incommensurablement plus profonds qu’auparavant. C’est ce qu’Hans Jonas soulignait dans Le principe responsabilité : l’agir humain, grâce aux techniques modernes, a désormais « une portée causale incomparable en direction de l’avenir, et s’accompagne d’un savoir prévisionnel qui, peu importe son caractère incomplet, déborde lui aussi tout ce qu’on a connu autrefois » [16]. Le changement climatique auquel il ne pensait pas quand il a écrit cette phrase en est une parfaite illustration.

Les démocraties, soumises à des rythmes rapides de renouvellement de leurs dirigeants, n’agissent bien souvent qu’à court terme, en fonction des problématiques politiques du moment. Ceci dit les dictatures qui cherchent à régner sur de longues durées ne font pas mieux, au contraire. Elles peuvent certes ignorer les sentiments de leurs peuples, mais pour poursuivre des rêves idéologiques voire impérialistes ou le maintien de leurs privilèges plutôt que pour pouvoir agir avec persévérance dans le sens de la préservation de la vie sur terre. Aussi, est-il préférable de chercher à renforcer la démocratie dans sa capacité à prendre en compte les intérêts à long terme du vivant qu’à fantasmer sur une dictature éclairée. Dans le cas concret du nucléaire civil, quel enrichissement démocratique serait possible ?

Lors des élections majeures, celles qui vont attribuer le pouvoir parlementaire et exécutif pour une mandature, les candidats présentent aux électeurs un programme ou des projets portant sur un grand nombre de sujets. C’est un paquet indivisible qui conduit la plupart d’entre nous à des choix toujours imparfaits au regard de leurs aspirations. Le principe majoritaire étant une règle démocratique de base, si les sondages se confirment dans les urnes, nous allons avoir en France un gouvernement qui va soutenir la filière nucléaire. Mais le mandat qu’il aura légitimement obtenu à cette élection lui permet-il de mettre en œuvre son projet sur un aspect qui engage le futur lointain alors qu’il n’est que de passage ?

Une démocratie enrichie devrait à la fois attribuer le pouvoir sur la base d’un programme multidimensionnel et permettre des oppositions à certains de ses aspects. C’est déjà certes le cas avec les droits d’expression, d’association, de syndicalisation, d’opposition et de manifestation. Mais s’agissant du nucléaire civil, il faudrait aller plus loin. Comment ? Seul un référendum pourrait donner une onction démocratique aux décisions engageant l’avenir très lointain. Comme ces questions débordent d’ailleurs les frontières nationales, il serait logique de l’étendre au moins à l’Union européenne et aux pays démocratiques voisins qui n’en font pas ou plus partie comme la Suisse ou le Royaume uni. Cela permettrait de vrais débats contradictoires, dans lesquels citoyens, experts et lobbies nucléodoules et nucléoclastes pourraient s’affronter. Certes la décision qui en sortirait pourrait légitimer la filière civile du nucléaire, mais dans ce cas, ce serait au grand jour et dans la clarté, y compris pour les générations futures. Cela aurait en outre, deux autres avantages. D’une part, cela renforcerait probablement l’affectio societatis européen car sur un sujet grave, il donnerait respectueusement le pouvoir aux citoyens. Cela permettrait d’autre part d’ouvrir à la bonne échelle le débat nécessaire sur l’avenir énergétique de l’Europe et ses conséquences. Étant en effet sur le point historique de franchir le pic mondial de production des énergies fossiles qui sont la cause véritable de la croissance de la productivité depuis deux siècles (voir à ce sujet l’article « De la productivité du travail et de certaines de ses conséquences… »), l’Europe va mécaniquement entrer en décroissance, avec des conséquences sociales et économiques extrêmement violentes si elle ne s’y prépare pas [17].

Une proposition lancée comme une bouteille à la mer…

 

[1] Sur les 6 candidats de gauche, trois se déclarent en faveur d’une sortie rapide du nucléaire, deux le positionnent comme une énergie de transition et le dernier comme une question secondaire. L’unanimité en revanche règne à droite : leurs huit candidats sont en faveur d’une relance du nucléaire.

[2] Ne cherchez pas ce mot dans le dictionnaire. C’est un néologisme construit sur l’opposition iconoclaste / iconodoule utilisée pour désigner les camps qui s’affrontaient dans la querelle byzantine des images. Dieu ayant choisi de s’incarner, les iconodoules considéraient légitime de représenter le Christ et son aréopage, et de vénérer leurs icônes, une pratique que les iconoclastes assimilaient à de l’idolâtrie. Le suffixe « doule » vient du grec ancien δοῦλος , doulos qui signifie esclave ou serviteur.

[3] En fait, l’uranium est un minéral et non pas un fossile comme le charbon, le pétrole ou le gaz qui sont issus de la décomposition / transformation de matières biologiques, mais il n’est pas plus renouvelable qu’eux.

[4] Il y a évidemment des exceptions. C’est le cas du risque de guerre qui a aujourd’hui un potentiel destructeur encore plus important, mais dont les dégâts s’arrêtent avec elle.

[5] L’unité de mesure de cette activité est le becquerel. La radioactivité naturelle est de l’ordre de 100 becquerels par gramme. La haute activité est de l’ordre de plusieurs milliards de becquerels par gramme.

[6] On utilise la « période » ou « demi vie » comme étalon de la durée de vie d’un élément radioactif. Cette période est le temps nécessaire pour que son activité soit divisée par deux. Elle peut aller de 110 minutes pour l'argon 41 (41Ar) ; 8 jours pour l'iode 131 (131I) à 4,5 milliards d'années pour l'uranium 238 (238U). Il faut 10 périodes pour diviser par mille cette activité (Source : ASN, Autorité de Sureté Nucléaire).

[7] Les isotopes sont des atomes qui possèdent le même nombre d’électrons et de protons, mais qui ont un nombre différent de neutrons. On connait actuellement 325 isotopes naturels et 1200 isotopes créés artificiellement (Source : IRSN, Institut de Radioprotection et de Sureté Nucléaire qui est l’expert public en matière de recherche et d’expertise sur les risques nucléaires et radiologiques)

[8] « En fondant, le cœur se transforme en une pâte incandescente, hautement radioactive, appelée corium. Extrêmement corrosif, ce corium est capable de traverser la coque en acier d’une cuve et la dalle de béton qui la supporte. Une menace que les ingénieurs doivent étudier au plus près afin de contrôler au maximum tout danger de contamination » (Source : IRSN)

[9] Source : IRSN

[10] La « vie courte » va de 101 jours à 31 ans. Comme il faut dix périodes pour diviser le niveau d’activité de mille, en supposant que cela suffise à revenir au niveau de la radioactivité naturelle, cela signifie une gestion sur 3 à 310 ans.

[11] 4190 m3 sur les 1 700 000 m3 déclarés et suivis par l’ANDRA.

[12] Il s’agit du projet Cigéo (Centre industriel de stockage géologique) qui prévoit le stockage des déchets nucléaires français de haute activité et moyenne activité à vie longue. Il est décrit sur un site qui lui est dédié, par le Ministère de la transition écologique. Les arguments de Greenpeace qui s’oppose à ce projet sont consultables en ligne.

[13] Source : Réacteurs en exploitation : se préparer au démantèlement à grande échelle, IRSN.

[14] Source : idem, IRSN

[15] Source : Discussion autour de quelques idées reçues sur le nucléaire civil, Jean-marc Jancovici

[16] Hans Jonas, Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, Cerf, Paris, 1993 [1979], p. 14

[17] Voir également sur ce même sujet la longue et très intéressante conférence à Science Po de Jean-Marc Jancovici.

Commentaires

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Christian du Tertre

Cher Michel,
il est vraiment dommage de ne pas trouver des formes de coopération entre ton initiative et Travail et Politique qui est en train de renouveler son programme de travail.
Je partage quasiment toutes les lignes de ton texte. J'aurais complété ton texte avec les problèmes de maintenance et de conduite des installations : l'absence d'organisation réflexive dans les centrales et le développement de la sous-traitance posent des problèmes majeurs, à la conduite elle-même. La dérive gestionnaire accentue les risques.

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