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Le tambour chamanique Sami, une représentation de la place des hommes dans le monde

Cet article [1] vient compléter celui que j’ai publié en mai dernier : Vivre et travailler dans des climats extrêmes : l’exemple Lapon. Il explore plus avant la manière dont le profond respect de la nature éprouvé par les anciens Samis dans leur vie et leur travail s’est à la fois manifesté dans leur conception du monde et en même temps appuyé sur elle, en utilisant les portraits qu’en dressaient les tambours chamaniques.

Le noaidi (chaman) était un personnage respecté dans les Siida, les communautés villageoises Samies, car il assurait le lien entre le monde des esprits et celui des hommes. Lorsqu'il était sollicité, il utilisait un tambour constitué d’une peau en veau de renne, tendue sur un cadre de bois ovale.

Tambour Sami
Tambour chamanique Sami

Sur cette peau était dessinée, avec une encre rouge très stable dans le temps, un grand nombre de figures représentant chacune une entité particulière du monde visible et invisible : des dieux, des lieux, des animaux, des hommes, leurs activités, des objets… Un marteau en forme de T, en os de renne, servait à battre le tambour et faire circuler à sa surface un anneau, l’arpa (« sort » en Sami). Les mouvements de celui-ci traçaient un chemin allant d’une figure à une autre qui permettait au noaidi de formuler la réponse à la question qui lui était soumise. En absorbant, semble t’il, des champignons hallucinogènes, il pouvait également entrer en transe comme le montre l’illustration ci-dessous [2], afin de se mouvoir dans le monde des esprits et entendre ce qu’ils avaient à lui dire.

Johannes_Schefferus_Lapponia_sami_shaman
Chaman tambourinant et en transe – illustration de Lapponia - 1673

Ce sont les missionnaires du XVII° et XVIII° siècle qui ont recueilli quelques unes des croyances traditionnelles Sami et ont ainsi permis de les conserver. Mais ce sont aussi eux qui, à partir de la fin du XVII° siècle, ont appliqué une politique brutale et coercitive d’évangélisation. Celle-ci s’est traduite notamment par la destruction de tous les tambours chamans, considérés comme des symboles de sorcellerie. Soixante dix d’entre eux seulement ont pu échapper à ce triste sort. Ils sont aujourd'hui dispersés dans différents musées européens.

Il y a une troublante parenté stylistique entre les dessins peints sur ces tambours et les images gravées ou peintes à l’âge du renne, au Magdalénien, ou les gravures préhistoriques des rochers de la Laponie Norvégienne. Ils ont en effet en commun le fait que les figures sont simplement évoquées par leurs contours et présentées de profil, et que les motifs sont souvent les mêmes, notamment dans les représentations humaines ou animales [3]. Cela peut laisser supposer une religiosité Samie qui plonge ses racines loin dans le temps.

On recense deux types différents de tambours Samis : les tambours du sud dont la surface est divisée par des traits horizontaux qui distinguent ainsi différentes régions de l’univers et les tambours du nord, les plus nombreux, dont la surface est indivise. A partir d’un tambour conservé en Allemagne appartenant à ce dernier type, celui de Foldalen [4], on peut en quelque sorte rendre visite au paysage mental Sami.

Tambour de Foldalen à Høylandet Norvège
Copie noir et blanc du tambour de Foldalen à Høylandet (Norvège) – Musée de Meiningen (Allemagne)

Ce tambour est illustré de 45 symboles. Sa structure générale est la suivante : au centre est dessiné un soleil (1) duquel partent quatre rayons. Au sommet sont représentés des dieux (29, 30, 31, 33). Les figures du bas décrivent la vie des Samis : leurs activités, leurs maisons, des rennes, des oiseaux et des animaux de la forêt. En haut à gauche est placé le Saivu (29), la montagne des ancêtres où les morts vivent une vie heureuse.

Ce que l’on peut remarquer tout d’abord, c’est que ce monde est circulaire ou ovale, comme l’est l’espace des huttes dans lesquelles se rassemble la famille Samie ou celui que l’on peut voir en tournant autour de soi au sommet d’une montagne. C’est un espace clos ou fini, comme le souligne le double trait qui fait le tour du tambour.

A l’intérieur de ce monde coexistent des entités qui occupent des zones précises et correspondent à des niveaux différents de réalité ou de puissance.

Au centre, se trouve le soleil représenté sous la forme d’un carré d’où part, de chacun de ses sommets, un rayon :

1 soleil
Le soleil et ses rayons - tambour Sami

Sur l’axe horizontal, se trouvent figuré à gauche le dieu du tonnerre, Horagalles, qui tient un éclair ou un marteau, et à droite, le dieu du vent Biegg-olmai qui tient une pelle dans chaque main. Ce sont donc des forces de la nature, le soleil, le tonnerre et le vent, qui sont au centre. Ce sont des forces qui dépassent en puissance celle des êtres vivants qui sont eux représentés sur l’axe vertical, avec en haut un renne et en bas trois figures humaines.

La religion ancienne des Samis est un polythéisme qui déifie des forces de la nature, mais aussi personnifie certains dieux. En haut du tambour, la partie la plus éloignée du chaman lorsqu'il le tient, est ainsi figurée une famille divine :

29 30 31 Trinité familiale divine
Une famille de dieux - tambour Sami

Elle est constituée du père souverain, Radien-attje (au centre), de sa femme, Radien-akka (à gauche, au sommet du Saivu) et de leur fils, Radien-pardne (à droite). Cette « trinité » pourrait faire penser à celle des chrétiens, mais elles n’ont qu’un chiffre en commun. Elles ne sont en effet pas de même nature : il s’agit ici d’une famille et non pas des formes différentes d’un dieu unique.

En bas, plus proche du chaman, on retrouve également des divinités, qui ont toutes à voir avec la procréation et la protection des enfants :

38 39 40 Déesses fertilité
Déesses de la fertilité - tambour Sami

De droite à gauche, on trouve Maddarakka, l’ancêtre, la femme chef, qui jouait un rôle fondamental dans la procréation des humains ; Sarakka, sa fille aînée qui protégeait le fœtus et était la sage femme qui aidait le bébé à pénétrer dans le monde et enfin Juoksahkka, sa troisième fille qui déterminait le sexe de l’enfant. C’est elle en effet qui pouvait, alors que tous les enfants étaient créés pour devenir fille, en changer le sexe quand ils étaient fœtus.

Éparpillées sur la surface du tambour, sans lien les unes avec les autres, sont représentées diverses entités visibles que côtoient les Samis. On y voit ainsi des animaux sauvages et des oiseaux :

AnimauxMais aussi, des hommes et leurs activités :

Hommes et activitésCe monde dans lequel vivaient les Samis était donc peuplé de forces de la nature et de divinités qui surpassaient les hommes et dont il fallait obtenir les bonnes grâces par des rituels et des sacrifices. Il était également habité par d’autres êtres, vivants les uns des autres. Les hommes se caractérisaient, dans ce concert de la vie, par leur langage et leurs artifices : tambour, arc, hutte, bateau, filet, niche à provision… Mais ils participaient du même monde et dépendaient de lui tout autant que les autres. Si toutes ces entités se distinguaient par leurs formes, certaines disposaient, comme les hommes, d’un esprit qu’il s’agissait d’apaiser pour vivre en bonne intelligence. Je renvoie sur ce point au rituel associé à la chasse à l’ours présenté dans Vivre et travailler dans des climats extrêmes : l’exemple Lapon.

Cette vision animiste du monde n’a aujourd'hui plus cours chez les Samis. Toutefois, il semble que ni leur conversion au christianisme à partir du XVII° siècle, ni l’arrivée des techniques modernes qui leur permettent de bénéficier d’un plus grand confort face aux rigueurs du climat, n’aient renversé leur rapport respectueux à la nature, peut-être parce que celle-ci se fait plus présente et plus pressante que dans d’autres endroits de la planète, et l’homme plus rare ? Mais il se pourrait que leur métissage culturel leur ait fait perdre une forme de cohérence entre leur vécu mondain et leur représentation du monde. D’autres sont évidemment toujours possibles, mais elles ne présentent pas pour le moment le caractère universel qu’elle pouvait avoir au sein des peuples anciens Samis.

 

[1] Cet article tire ses informations des trois sources suivantes : Odd Mathis Haetta, L’ancienne religion et les croyances populaires des Samis, brochure n° 1 du Musée d’Alta, 1994 ; Sunna Kuoljok et John Utsi, Les Samis. Peuple du Soleil et du Vent, Ajtte, Musée Suédois des Montagnes Boréales, Jokkmok, 1993 et Ernst Manker, Les Lapons et les montagnes suédoises, Gallimard, Paris, 1954

[2] Cette illustration est tirée de Lapponia, la première véritable monographie rédigée sur les Lapons. Son auteur, Johannes Schefferus, était un humaniste originaire de Strasbourg qui enseignait à Uppsala, en Suède. Il ne s’est pas rendu en Laponie, mais s’est appuyé sur des relations de prêtres qui y avaient séjourné pour l’évangéliser ainsi que de rapports qu'il demandait à ses étudiants qui venaient de Laponie. Son ouvrage parut en latin en 1673 et fut traduit en français dès 1678.

[3] Toutefois le monde des figures des tambours Samis est beaucoup plus varié que celui des gravures rupestres qui reste limité à diverses formes de gros gibiers, quelques figures humaines et signes abstraits.

[4] J’ai privilégié ce tambour parce qu’il fait l’objet d’une présentation détaillée dans L’ancienne religion et les croyances populaires des Samis, pages 18 et 19 et dans Les Lapons et les montagnes suédoises, pages 206 et 207. Sans les explications que j’ai trouvées dans ces ouvrages, j’aurais bien évidemment été incapable d’identifier les différentes figures dessinées à sa surface.

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