L’émancipation des femmes, aussi une affaire d’hommes
08/03/2022
Je profite de cette Journée internationale des droits de la femme pour exhumer un texte qui montre qu’elles n’ont pas été seules à souhaiter leur émancipation, y compris à une époque, le XIX° siècle, où leur infériorité était absolument consacrée par l’idéologie masculine et le droit. Il est l’œuvre de Léo Frankel, un ouvrier hongrois membre de la première Internationale. Installé à Paris depuis 1867, il s’engagea au service de la Commune et de son ambition révolutionnaire. Il y dirigea notamment la « Commission du travail, industrie et échange ».
Ce texte est extrait d’un article intitulé « Réponse à quelques sophismes conservateurs » qui paru le 01/01/1872 dans L’Emancipation [1].
« Une troisième erreur conservatrice [2] est celle qui consiste à dire que la femme est moins bien douée que l’homme sous le rapport des facultés mentales et physiques : que la nature de la femme la destine aux fonctions de mère, d’épouse et de ménagère, afin d’arriver à lui enlever tous ses droits. Ainsi dans toutes nos lois, dans toutes nos institutions, la femme est considérée comme inférieure à l’homme, comme servante de l’homme.
Toutes les objections produites contre l’égalité de l’homme et de la femme sont du même calibre que celles que l’on émet contre l’émancipation de la race noire, des classes ouvrières, etc. On ferme les yeux au monde et on lui dit ensuite qu’il est aveugle de naissance.
La seule objection scientifique est celle qui invoque l’infériorité du volume du cerveau de la femme comparativement à celui de l’homme [3], objection vraie, mais qui ne permet pas d’en déduire les conclusions qu’Auguste Comte et d’autres savants en ont tirées. D’abord, il ne faut pas oublier que la physiologie est encore dans son enfance et n’a pas dit le dernier mot sur cette question. Ensuite, on doit savoir que le cerveau comme tout organe du corps exige un exercice permanent pour acquérir son plein développement. Personne du reste n’ignore que l’éducation de la femme a toujours été négligée et pour mieux dire faussée.
L’homme, tout en frappant du sceau de l’incapacité la moitié du genre humain, se plait à paraître le protecteur de la femme ! Hypocrisie révoltante ! Qu’on abaisse seulement les barrières, qu’on abaisse les privilèges dont jouit l’homme, car il est triste de penser que l’homme le plus sot est supérieur en droit à la femme la plus intelligente.
« J’étais pour la Commune, disait la brave et intelligente Louise Michel, parce qu’elle voulait la révolution sociale ». Dans ces mots est tout le programme de la Commune. La Commune a succombé. Elle a succombé sous la force brutale. Mais en étouffant sa voix, on n’a pas même cicatrisé les plaies sociales qu’elle avait pour mission de guérir, et tous les déshérités des deux sexes, tous ceux qui veulent le règne de la vérité, de la justice, attendent sa résurrection. »
[1] Source : revue Travailler au futur, n° 5 (mars-juin 2021), p 84.
[2] Dans cet article, la première idée conservatrice que Léo Frankel réfute consiste à dire que « le peuple n’est pas encore apte à se gouverner lui-même » et la deuxième que « l’Etat ne doit pas intervenir dans les rapports de capitaliste à salarié ».
[3] Léo Frankel pense ici probablement aux travaux de Paul Broca (1824-1880), un médecin qui calcula une différence de 181 g entre le poids moyen des cerveaux des hommes (1325 g) et celui des femmes (1144 g). Au lieu de la rapporter à la différence de taille entre l’homme et la femme, il préféra « supposer que la petitesse relative du cerveau de la femme dépend à la fois de son infériorité physique et de son infériorité intellectuelle ». Cette supposition reposait sur l’idée selon laquelle il y aurait une corrélation entre le poids du cerveau et l'intelligence, comme si on pouvait rendre compte de la complexité fonctionnelle d’un tel organe avec un critère aussi sommaire. Des contre-exemples fameux d’ailleurs ont depuis montré son inanité : Einstein avait ainsi un cerveau plus léger que la moyenne établie par Broca pour les hommes ce qui ne l’empêcha pas de révolutionner la physique (source : Catherine Vidal, « Cerveau, sexe et préjugés », Cerveau, hormones et sexe: Des différences en question, 2012, p. 11-28).
Merci pour cette information historique.
Amicalement,
Didier
Rédigé par : didier martz | 08/03/2022 à 19:25