Dire le travail en temps de confinement - Appel à témoignages
Les mutations longues du travail : le cas de la médecine dans les sanctuaires d’Esculape

Un virus n’est pas un ennemi, mais un collègue en naturalité

« Tu ne meurs pas de ce que tu es malade ; tu meurs de ce que tu es vivant », Montaigne, Essais, III, 13

 

« Nous sommes en guerre. Pas contre une autre nation, mais contre un ennemi invisible et insaisissable » a déclaré Emmanuel Macron le lundi 16 mars, pour justifier le confinement généralisé auquel allait être soumis dès le lendemain l’ensemble de la population française.

On peut être un citoyen discipliné et se mettre en quarantaine dans les conditions prescrites par l’Etat, sans pour autant perdre sa lucidité ou son esprit critique.

Traiter le coronavirus d’« ennemi » est évidemment une métaphore. On peut d’ailleurs trouver dans l’histoire française de ce mot, de nombreux glissements de sens qui en montrent la plasticité. Il a pu ainsi désigner le diable considéré comme « l’ennemi du genre humain » ou un animal ou des agents naturels dangereux pour l’homme [1]. Associé à l’idée de « guerre », répétée plusieurs fois dans son allocution, c’est dans son sens le plus fort que chacun était invité à le comprendre, celui de « personne ou collectivité qui est vis-à-vis d'une autre un objet et/ou un agent de haine, d'actions nuisibles » [2].

Mais qu’est ce qu’un virus, fut-il couronné ? C’est un micro-organisme qui ne peut se multiplier qu’en pénétrant dans une cellule hôte car il ne dispose pas du matériel génétique qui lui permettrait de le faire de manière autonome. C’est la raison d’ailleurs pour laquelle les biologistes ne s’accordent pas sur sa nature : faut-il le considérer comme un être vivant ou inerte ? Mais qu’il soit « en soi » l’un ou l’autre, il appartient incontestablement à la grande chaîne de la vie à laquelle il participe à sa manière.

Le traiter d’ennemi s’est évidemment s’inscrire dans un anthropocentrisme pour lequel est un ennemi tout ce qui est nuisible à la vie de l’humanité. Mais c’est aussi un aveuglement sur ce que nous sommes. Il n’y a évidemment chez le virus aucune volonté de nuire, ni de haine. Il vient simplement se loger et prospérer là où d’autres êtres lui offrent des possibilités de propagation et de multiplication. Est-ce que lorsqu'un paysan envoie à l’abattoir une vache de réforme ou fauche un champ de blé, il agit en ennemi des bovins ou des céréales ? Non, évidemment. De son point de vue – les bovins et céréales ne nous livrant pas le leur –, ce sont des ressources qui lui permettent de faire vivre sa propre espèce animale. Sur ce plan, reconnaissons au moins que le virus et l’homme agissent conformément à la même loi de la nature. Nous avons reçu d’elle le même pouvoir de transmettre la vie et sommes donc sur ce plan, collègues en naturalité. Peut-être, cette reconnaissance nous permettrait-elle de nous situer avec plus de justesse en son sein, et donc d’y agir mieux ?

Mais il est une autre conséquence de cette malheureuse métaphore, c’est que pour se défendre d’un ennemi qui nous attaque, il faut lui faire la guerre. Or la mesure majeure mise en place en France et dans de nombreux pays du monde, c’est le confinement, c'est-à-dire une drôle de guerre qui vide les rues et laisse la place au silence, et dans la nature au chant des oiseaux, bien loin du souffle et du tonnerre des canons. Les hôpitaux n’accueillent aucun blessé, mais seulement des malades. Les médecins, les infirmières, les aides-soignantes, les commerçants qui restent ouverts, les policiers qui veillent à ce que soit observé strictement le confinement et tous les autres qui participent à ce qui reste de vie économique, se considèrent-ils en guerre ? Je crois bien plutôt qu’ils font leur travail, avec dévouement et sous le risque de la contamination.

Alors quoi ? Pourquoi adopter une posture martiale, se prendre pour un nouveau Clemenceau ? S’agit-il de s’inventer un ennemi pour mieux mobiliser les citoyens ? Mais n’y avait-il que ce moyen rhétorique pour arriver à cette fin ? Je pense que dans l’épreuve collective que nous traversons, nous aurions intérêt à être au plus près des choses, trouver des mots justes, ne pas abuser de métaphores qui nous éloignent de notre réalité profonde, de notre nature, fragile et mortelle.

 

[1] Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d’Alain Rey, Le Robert, Paris, 1998

[2] Trésor de la Langue Française informatisé

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