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Des formations communes pour développer la culture du dialogue social en France

Si la loi Travail prise comme un ensemble a fait l’objet de positions syndicales divergentes, allant de l’accord à l’opposition radicale, il est un article qui lui n’a fait l’objet d’aucune contestation : l’article 33 qui incite au développement de formations communes entre employeurs et salariés ou entre leurs représentants, afin d’« améliorer les pratiques du dialogue social dans les entreprises ».

Le législateur a confié à l’Institut National du Travail, de l’Emploi et de la Formation Professionnelle (INTEFP) la mission d’assurer et encadrer ce développement [1], en lui délégant quatre missions :

  • La définition du cahier des charges général des formations communes
  • Le cas échéant, le conseil aux branches et entreprises dans la définition de leurs propres cahiers des charges
  • La conception et la mise en œuvre de formations communes, directement ou par l’intermédiaire d’un réseau de partenaires
  • L’établissement annuel du bilan des formations communes et de propositions d’évolutions

Le Directeur de l’INTEFP s’est rapidement tourné vers l’Association des Auditeurs pour lui demander de contribuer à la réflexion de l’Institut sur le Cahier des charges de ces formations communes. Cette démarche était naturelle dans la mesure où les membres de l’Association ont une expérience personnelle des formations de ce type. Ils ont en effet tous participé à une session nationale de l’INT. Celles-ci – qui existent depuis près de 30 ans – regroupent chaque année, en nombre égal, trente représentants syndicaux, d’employeurs et de l’administration pendant cinq semaines autour de grands sujets économiques et sociaux. Elles ont un format tripartite qui a servi d’inspirateur et de référence à tous ceux qui réfléchissent au moyen de développer le dialogue social en France.

Pour répondre à cette demande de l’INT, un groupe de travail auquel j'ai activement participé a été constitué au sein de l’Association. Il s’est réuni plusieurs fois pour mettre en forme une proposition qui a ensuite été enrichie et validée par le Conseil d'administration. Elle a alors été soumise à l’INTEFP qui l’a intégrée dans ses propres réflexions. Un grand nombre de ses suggestions figure, sous des formes adaptées, dans le projet de Cahier des charges que l’Institut va prochainement publier.

Je présente ci-dessous les principales suggestions faites par l’Association à l’INT, en les organisant autour de ce qui pourrait bien être les deux conditions de réussite du projet de développement des formations communes : une conception intégralement accordée à leur finalité et un dispositif mobilisateur.

Des formations ouvertes pour renforcer la culture du dialogue social en France

Le dialogue social peut évidemment s’apprécier au nombre d’accords signés dans les entreprises et les branches ou au pourcentage de salariés couverts par ces accords. Sous ces deux critères quantitatifs – notamment le second –, la France est loin de démériter. Mais sur le plan de sa qualité, des progrès sensibles peuvent être réalisés comme le souligne le Conseil Économique, social et environnemental dans son avis du 24 mai 2016 (voir dans ce même numéro de la revue 3D, l’article de Max Pfalzgraf qui rend compte du diner débat organisé au Conseil Économique, Social et Environnemental le 23 mai dernier).

Aussi, est-ce dans cette perspective de développement culturel que les formations communes doivent s’inscrire. Elles peuvent en être un moyen important si leur impact et leur audience sont significatives, qualitativement et quantitativement. C’est avec ces idées en tête que l’Association a conçu ses préconisations.

L’un des freins majeurs au dialogue social réside dans les défiances existant entre les acteurs du monde économique et social. C’est la raison pour laquelle les objectifs que l’Association propose de donner à ces formations visent à les lever. Pour cela, elles devraient permettre aux participants de :

  • s’ouvrir à d’autres façons de voir
  • mieux comprendre les logiques des autres acteurs et lever ses propres préventions ou stéréotypes à leur égard, ce qui passe par une meilleure connaissance des représentations des uns et des autres (salariés, employeurs, administrations)
  • découvrir des personnalités, constituer un réseau
  • s’extraire des enjeux de son entreprise et prendre du recul
  • développer sa culture du compromis et mieux connaitre ses conditions
  • participer à une réflexion ouverte sur ce que chacun a à gagner d’un dialogue social de qualité en le considérant comme une ressource pour l’entreprise et un levier d’amélioration de la situation des salariés

Pour atteindre ces objectifs, les formations communes ne doivent avoir rien de scolaire, ni ressembler à un déversement de « savoir ». La convivialité et les échanges informels doivent être au cœur de ces formations et tout le dispositif doit les favoriser. C’est la raison pour laquelle l’Association a suggéré qu’elles se déroulent sur trois jours ce qui permettrait de dégager deux soirées. Une arrivée pour le déjeuner le 1° jour et un départ après le déjeuner du 3° jour seraient d’autres signes de cette volonté conviviale. Le lieu devrait également être choisi avec soin et en adéquation avec la philosophie des formations. Nous l’avons imaginé dans un espace paisible doté d’un hébergement sur place, favorisant ainsi les échanges et les a parte.

Les groupes ne devraient pas dépasser la quinzaine de participants afin que le dialogue et les débats puissent être nourris par tous. La formule « formation-action » serait très adaptée. Elle permettrait de proposer qu’à la fin de la session, chacun exprime un projet (un plan d’action) qu’il cherchera à mettre en œuvre dans les mois qui suivent, avec un séminaire d’analyse 4 mois plus tard par exemple. C’est en effet en forgeant qu’on devient forgeron. Au retour dans le groupe, chacun pourra présenter les résultats de son action, et bénéficier des retours et commentaires des membres du groupe. Ce dernier deviendra ainsi une ressource et on peut imaginer que, sur cette base, certains groupes se pérennisent.

Nous avons pensé que les sessions devraient être, sauf exception, interentreprises et sur une base régionale. Cela permettra d’assurer aux participants qu’ils ne se retrouveront pas dans un même groupe avec les interlocuteurs de leur entreprise, sauf s’ils le demandent explicitement.

Sur le contenu des formations, l’Association a d’abord relevé un point de vigilance. Elle s’est en effet posée la question d’un thème fédérateur, mais a finalement plutôt considéré que cela risquait de réduire le potentiel d’attractivité des formations. Il ne faudrait pas non plus se focaliser sur les techniques de négociation, qui sont déjà proposées par de multiples organismes. En tout état de cause, s’il devait y avoir un thème, il devrait être considéré comme un prétexte et il ne devrait pas être abordé sous un angle technique.

Elle a pensé qu’il y aurait intérêt à engager une réflexion ouverte sur les conditions et les obstacles à un dialogue social de qualité. Celle-ci devrait évidemment être préparée par un débat entre les participants sur ce qu’est ou devrait être un « dialogue social de qualité ».

Elle a également suggéré que soit présenté et mis en discussion des méthodes qui favorisent le dialogue social et la négociation. Elle a pensé par exemple au recours aux Contrats d’Etude Prospective dans les négociations de branche, à une information de qualité et équilibrée entre les acteurs, à des accords sur la façon de traiter des problèmes avant de les traiter, à des interventions extérieures pour faire des apports sur le fond, etc.

Cela pourrait inclure une information sur les outils et démarches qui permettent de favoriser, voire débloquer le dialogue social : le réseau des Aracts, le dispositif d’appui au dialogue social, des exemples étrangers… La formation pourrait également être nourrie par des cas concrets apportés par les participants mis au pot d’une réflexion collective, dans une logique de co-développement.

Concernant l’animation de ces formations, il est apparu nécessaire qu’il y ait un animateur-référent sur toute la durée de la (ou des) session(s). Des intervenants pourraient également être mobilisés, éventuellement en soirée. Les animateurs devraient être des méthodologues plutôt que des experts d’un sujet. Ils devraient évidemment se reconnaitre dans les objectifs du Cahier des charges des formations communes, observer strictement les principes d’équidistance entre les parties prenantes du dialogue social et de bienveillance à l’égard des participants, et avoir une bonne connaissance du dialogue social et de ses pratiques.

Concevoir un dispositif mobilisateur

Concevoir des formations de qualité est évidemment une condition de leur pérennisation et de leur impact. Mais cela ne saurait suffire. Il faut aussi relever le défi quantitatif. Celui-ci se jouera au moins à deux niveaux :

  • dans une participation tendanciellement équilibrée de représentant employeurs et de représentants des salariés. C’est à cette condition qu’elles seront vraiment « communes » ;
  • dans le nombre total de participants aux formations organisées chaque année. Ce nombre devra être nécessairement significatif pour avoir une incidence nationale sur le dialogue social.

L’Association a souligné que la question de l’attractivité de ces formations pour les publics ciblés devait être impérativement intégrée dans la réflexion car on n’attire pas des mouches avec du vinaigre. Mais se pencher sur les séquences de formation n’y suffira pas. En effet, des formations sur le dialogue social sont déjà proposées à ses acteurs, mais sans les mélanger entre eux, à l’exception notable des sessions nationales annuelles de l’INT. En clair, aujourd’hui, il n’existe ni offre, ni marché de ces formations communes. Tout est à construire. C’est donc un dispositif complet qu’il faut mettre en place, et cela commence par une définition du périmètre du public à inviter. C’est en effet lui qui indiquera les effectifs potentiels à mobiliser.

L’Association a souligné que le dialogue social ne se résumait pas à la négociation collective ou à la gestion paritaire d’un certain nombre d’organismes. De nombreux acteurs du dialogue social en entreprise ne négocient pas ou n’administrent pas – c’est le cas de la plupart des membres des Conseils sociaux et économiques. Ils portent des réclamations, posent des questions ou donnent des avis. Il ne faudrait surtout pas les exclure des formations communes en centrant ces dernières sur la question de la négociation, car ils sont le terreau du développement du dialogue social en France.

Le public concerné devrait donc être, a minima, les représentants de l’employeur et des salariés  qui siègent dans les instances de représentation du personnel dans les entreprises, qu’ils aient ou non la capacité de s’engager par la signature d’accords. Mais on pourrait aller, avec profit, largement au-delà en ouvrant ces formations à ces mêmes représentants dans la fonction publique et aux négociateurs dans les branches professionnelles. Les permanents des Organisations patronales et syndicales pourraient également faire partie du public potentiel, car ils jouent un rôle important dans le développement (ou non) de la culture du dialogue social auprès de leurs mandants. Il ne faudrait pas négliger ces acteurs d’influence.

L’Association a aussi souligné l’intérêt qu’il y aurait à une composition tripartite des groupes en formation, c'est-à-dire à y intégrer des représentants de l’Etat, des Collectivités, du territoire… pour favoriser les échanges entre les représentants des employeurs et des salariés et ces autres représentants de l’action socio-économique, porteurs d’expérience et de points de vue différents sur l’entreprise.

Il n’existe pas à ma connaissance de statistique qui permette d’évaluer le nombre de ces acteurs. En tout état de cause, il faudrait pouvoir en toucher une part significative afin que les effets positifs puissent se faire sentir dans le dialogue social en France.

Pour cela, une mobilisation concertée des organisations syndicales et patronales ainsi que de l’Etat sera nécessaire. Leur implication dans le Comité mis en place par l’INTEFP pour piloter ces formations communes est une bonne initiative qui va dans ce sens.

L’Association s’est également demandé si les grandes entreprises n’auraient pas intérêt à faciliter la participation des parties prenantes au dialogue social interne à ces formations communes.

Il est un frein potentiel au développement des formations communes qu’il faut également lever : le financement. L’association a souligné la difficulté que pourrait créer le financement envisagé qui diffère selon qu’on est représentant employeur (entreprise) ou représentant des salariés, car il risque d’être défavorable aux seconds.

Elle s’est également penchée sur la question de l’évaluation des effets de ce dispositif. Elle a proposé d’abord un indicateur simple de suivi : l’existence de demandes de suite, considérant que ce serait un signe évident d’intérêt des participants pour ces formations et que les groupes qu’ils constituent se vivent comme ressource de leurs membres. Une enquête d’évaluation auprès des participants, 6 mois après la session serait également intéressante, ainsi que des Assises annuelles du dialogue social, rassemblant les participants des différentes sessions. Ces Assises permettraient des échanges élargis entre groupes et de débattre sur les suggestions d’évolution ou d’inflexion du dispositif.

A terme, par exemple après 10 ans de mise en œuvre au rythme de 20 sessions par an, il faudrait regarder comment évolue le dialogue social en France. Cela suppose que dès maintenant des critères d’évaluation du dialogue social soient proposés et partagés. Ce pourrait être d’ailleurs une production des premières Assises.

Afin que la dynamique soit rapidement enclenchée, l’Association a enfin proposé qu’un premier objectif quantitatif de réalisation soit fixé. Une formation commune dans l’année, dans chacune des 13 régions, lui est apparue comme un objectif à la fois réaliste et mobilisateur à l’échelle du territoire national. C’est aussi en faisant qu’on apprend. Des premiers enseignements pourront être tirés de ces premières initiatives qui permettront d’ajuster les formules et les dispositifs.

Bon vent donc aux formations communes !

Michel FORESTIER

 

Cet article est paru dans le n° 27 (Décembre 2017 – Janvier 2018) de la revue 3D, la publication de l’Association des Auditeurs de l’Institut National du Travail, de l’Emploi et de la Formation Professionnelle. L’association possède un site que je vous conseille de visiter pour avoir plus d’information sur son identité, ses objectifs et ses activités.

 

[1] Décret 2017-714 du 2 mai 2017 relatif aux formations visant à améliorer les pratiques du dialogue social communes aux salariés, aux employeurs, à leurs représentants, aux magistrats judiciaires ou administratifs et aux agents de la fonction publique

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