Faut-il perdre sa vie pour la gagner ?
19/05/2016
Didier Martz, un ami philosophe, organise à Reims, chaque mois depuis plusieurs années, des Regards croisés. Il y sollicite des intervenants d’horizons différents pour échanger et débattre autour d’un thème. Il m’a invité à ceux qu’il organise à la fin de ce mois sur la question du travail, en lien avec le projet de loi El Khomri. Une psychologue du travail et un conseiller prudhommal devraient également y participer.
Si vous habitez Reims ou en êtes proche, vous êtes cordialement invité. Cela se tiendra le 27/05/2016 de 18 à 20 heures dans l’amphithéâtre de la Médiathèque Falala 2 rue des Fuseliers 51 100 REIMS.
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Pour ceux qui ne peuvent pas s'y rendre, je reproduis ci-dessous le texte de la chronique radiophonique que Didier a conçu au sujet de la réforme en cours du Code du travail.
Réformer le Code du travail
Ainsi va le monde n°329, une chronique radiophonique à écouter
Bonjour à toutes et à tous.
On oublie dans le débat sur la réforme du code du travail le sens du travail lui-même. Certes, on contestera telle ou telle disposition désavantageuse ou on applaudira à telle autre mais s'interrogera-t-on sur ce que signifie fondamentalement le travail ? Travailler, c'est créer les conditions, les instruments qui permettent de subvenir à ses besoins. En travaillant l'homme transforme la nature, se transforme lui-même et modélise son rapport aux autres hommes. Rien ne dit à priori qu'il soit contraignant. Fatiguant, certes, car c'est un labeur nécessaire à la satisfaction des besoins humains de se nourrir, de se protéger, de se reproduire. C'est pourquoi quotidiennement l'homme se repose et reconstitue sa force de travail, reconstitution qui lui permettra de reprendre sa tâche le lendemain.
Une fois que la crainte de manquer est dépassée, l'homme ne travaille plus pour survivre et il y a fort à parier qu'il pourrait s'accommoder facilement d'une réduction du temps consacré au travail. Notamment grâce aux machines nouvelles de toutes sortes qui permettent d'alléger voire de supprimer des tâches effectuées autrefois par lui. Et même, il y a sans doute suffisamment de monde sur terre pour faire face à l'obligation de nourrir, protéger, soigner chaque être humain. Et si le travail ne repose plus sur la nécessité de survivre, il faut bien qu'une autre « nécessité » le pousse à travailler. On mettra « nécessité » entre guillemets car elle n'est pas absolument nécessaire.
Cette nécessité est de consommer. De consommer non pas ce qui est vital mais ce qui est superflu. La motivation principale au travail n'est plus de vivre ou survivre mais de consommer ou de surconsommer et que c'est par le travail, et le salaire qui en est la récompense, donc par l'argent, que les individus peuvent acquérir les biens de consommation.
Mais même si on invente régulièrement de nouveaux produits qui ne servent à rien, on finit toujours par se demander s'il est bien utile de consacrer sa vie à un travail qui permet d'acquérir des biens futiles et éphémères et à un moment où un autre la question de savoir s'il faut perdre sa vie à la gagner se pose ? L'engendrement permanent de faux besoins en assurant à une part croissante de la population des conditions de vie supportables, voire "agréables", ne sont pas les vecteurs d'une réelle réalisation de soi.
Mais interroger cette logique consumériste est dérangeante et inquiétante car si on se mettait à travailler moins pour vivre plus, il est probable que le système économique sur lequel est bâtie la société se mettrait à vibrer. Aussi, après la nécessité de vivre et de survivre, celle de consommer et de surconsommer, s'invente une troisième « nécessité » qui motive les individus à travailler spontanément. Celle de venir s'épanouir au travail, de s'y développer personnellement, de s'y réaliser. Pour finir par établir, comme le fait le philosophe, que le travail est en fait synonyme d’humanisation et de libération. Par conséquent, plus on travaille, plus on existe.
Un certain Paul Lafargue écrivait au XIXème siècle un droit à la paresse, état dans lequel l'homme pourrait se retrouver. Ainsi va le monde !
Didier Martz, essayiste, 20 avril 2016
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