Courir en tout sens comme des lapins sans tête
26/06/2014
Pascale Ferran filme peu, mais juste. Elle vient de nous livrer une œuvre poétique sur le monde et le travail contemporain, Bird people (le peuple des oiseaux), que je vous conseille de courir voir avant qu’il ne sorte de la programmation.
Sur le monde d’aujourd’hui, deux scènes suffisent à le dire :
- Dans le RER qui mène à l’aéroport de Roissy, la caméra en se posant sur chaque passager nous livre leurs pensées ou leurs conversations ou ce qu’ils entendent cachés derrière leurs écouteurs. Les frontières entre la vie publique et l’intimité ainsi s’évanouissent. Nous voyons ces voyageurs côte à côte et isolés dans leur monde.
- Gary, le business man américain, en transit à Roissy, ne voyant plus de sens à sa vie professionnelle et familiale, décide au petit matin de rompre avec son passé. Il donne rendez-vous par mel à sa femme pour qu’ils aient une explication. Cela donnera une longue scène de visio-rupture en double écran, celui du film et celui de l’ordinateur branché sur Skype avec lequel Gary et sa femme communiquent sans se comprendre.
Du travail contemporain, Pascale Ferran livre avec précision deux facettes opposées dans la hiérarchie des métiers, celui d’Audrey, jeune femme de chambre salariée dans un grand hôtel de Roissy mais aussi étudiante et celui de l’homme d’affaires qui y séjourne temporairement.
D’un côté, celle qui doit agir vite lorsque les clients sont parties et avant que d’autres ou les mêmes reviennent, pour leur rendre un espace redevenu anonyme, sans les multiples traces de leur vie nocturne : cendriers qui débordent, papiers en vrac, draps enroulés en torchon, petits flacons vides de Cognac… Une manière d’entrer dans la vie des gens sans les connaître.
De l’autre, un patron qui suit ses affaires à travers le monde – bientôt Dubaï, peut-être même pour y passer le nouvel an –, dans un esprit de compétition et de pression qui l’a mené au sommet de l’entreprise, mais qui tout d’un coup, au milieu d’une réunion parisienne avec ses clients, ne lui dit plus rien. Le vent pénétrant dans sa chambre feuillettera son agenda : plein à ras-bord sur les premières semaines, puis désert ensuite, symbole de la frénésie de l’urgence qui l’occupe et le vide.
Chacun à sa manière, brutale et guerrière pour Gary, aérienne pour Audrey, va rompre avec sa vie. Mais comment ? En ne courant plus en tout sens comme un lapin ou un poulet sans tête, pour l'un. En changeant son point de vue sur le monde, pour l'autre.
A la mi-temps du film, l’univers sordide et laid de l’aéroport va se trouver magnifier par le vol d’un moineau, la nuit au-dessus des pistes, ou par les portraits que fera de lui un jeune japonais quand il aura pénétré dans sa chambre. Les mutations des deux personnages, visibles à l’écran, vont les amener enfin à se croiser dans l’hôtel et à se reconnaitre : ils font désormais partie du peuple des oiseaux, ce peuple qui n’épuise pas la nature et la contemple !
Pour vous mettre encore plus en appétit, voici quelques plans de ce conte onirique.
Et merci Dominique, pour m'avoir conseiller et inciter à voir ce film.
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