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Un essai pour penser autrement la responsabilité sociale des entreprises

Les ouvrages sur la RSE (responsabilité sociale des entreprises) ne manquent pas. L’originalité de celui-ci est d’être rédigé par un philosophe, François Vallaeys, qui la soumet en connaisseur au test de la cohérence. La contradiction que l’auteur relève, entre d’un côté, l’empressement contemporain à institutionnaliser la responsabilité sociale et le développement soutenable des entreprises publiques et privées et, de l’autre, le fait que ce mouvement ne soit pas transformateur, c'est-à-dire n’approche en rien le but qu’il se donne, fonde sa démarche critique. Le « besoin de philosophie », dit-il, se fait particulièrement sentir au temps de l’insoutenabilité car « nous avons perdu le fond du monde et les raisons qui nous soutiennent sont visiblement insoutenables comme notre économie, notre manière d’habiter le monde ».

Dans l’usage et la pratique commune de la notion de responsabilité, F. Vallaeys identifie trois confusions conceptuelles à l’origine de cette contradiction. D’abord, on y confond la responsabilité et l’engagement. L’engagement des organisations dans la RSE, en effet, consiste à gérer et contrôler leurs propres promesses à destination de la société alors que la responsabilité consiste à répondre de ses actes par une interpellation extérieure à l’organisation. On confond également la responsabilité sociale avec la responsabilité singulière de l’organisation, et ainsi, on la désocialise. Enfin, on confond la responsabilité comme mission prospective qui vise à fonder une économie soutenable, avec la responsabilité comme imputation rétrospective des conséquences négatives de ses actes. L’auteur propose de sortir de cette triple confusion, en essayant de penser une « vraie responsabilité sociale », transformatrice, qui prenne le contre-pied des pratiques actuelles. Elle serait sociale, c'est-à-dire ouverte aux tiers, non plus cantonnée dans chaque organisation considérée indépendamment les unes des autres, mais inscrite fondamentalement dans une dynamique territoriale de coresponsabilité et essentiellement tournée vers une mission de transformation économique et sociale.

La rupture, on le voit, est radicale avec ce que l’on peut observer des démarches de RSE mises en place dans les entreprises et les organisations publiques. Si elle était mise en œuvre à grande échelle, nous avancerions probablement vers une économie soutenable. S’inspirant des travaux de Nicholas Georgescu-Roegen, l’auteur la définit comme celle qui cesserait de s’appuyer sur les stocks d’énergie fossile pour ne se développer que sur le flux de l’énergie solaire, le seul renouvelable : « la soutenabilité n’est pas d’abord ni seulement la lutte contre la pollution, c’est avant tout la justice intergénérationnelle universelle (…) Or tout stock utilisé est littéralement confisqué aux générations futures , alors que tout flux utilisé ne leur retire rien ».

Mais si cette responsabilité sociale peut placer l’humanité à la hauteur de l’enjeu de durabilité ainsi défini, elle soulève une difficulté conceptuelle dont l’auteur est conscient : « La socialisation de la responsabilité (…) nous conduit jusqu’au devoir de responsabiliser la société ». Mais comment comprendre ce concept de « société responsable » alors que la société n’est pas un sujet, ni un macro-sujet ? A cette interrogation, l’auteur répond en deux temps. Pour qu’une société soit responsable, dit-il d’abord, il faut qu’elle se réfléchisse. Mais pour affirmer ensuite que cela est possible, il faut retenir une conception performative de la société selon laquelle les acteurs sociaux définissent le lien social dans un processus permanent, autrement dit considérer que la société est intégralement  politique. Cette conception réductrice s’oppose aux observations des ethnologues et des sociologues, qui constatent que si le champ politique est présent dans toute société, il est imbriqué avec quantité d’autres, culturel, religieux, économique, etc. et doit toujours s’accommoder d’une sphère privée. C’est la raison d’ailleurs pour laquelle F. Vallaeys peut remarquer que les deux acteurs modernes qui ont le plus d’impacts sur le monde, à savoir les entreprises et les sciences, ne sont pas fondamentalement soumis à la discussion politique. Une économie soutenable n’apparait alors envisageable qu’à condition de les faire entrer en démocratie. C’est là la plus radicale des douze propositions pour une société responsable sur lesquelles se conclut l’ouvrage : « introduire une scission au sommet des conseils d’administration des organisations entrepreneuriales et scientifiques en les obligeant légalement à admettre des porteurs d’enjeux sociaux et environnementaux extérieurs à leur table ». Cela suppose donc un élargissement considérable de la sphère du politique qui s’affronterait à des intérêts et des idéologies contraires puissants. Or si la démocratie est une enveloppe formelle dans laquelle doivent se résoudre les conflits politiques, économiques et sociaux, elle n’assure pas, par nature, la victoire d’une thèse sur une autre.

Mais, ainsi que le souligne l’auteur, ses propositions peuvent paraître inaccessibles, utopiques, elles n’en sont pas moins le signe d’un effort pour penser les conditions d’émergence d’une économie soutenable. Elles marquent un refus, celui de se satisfaire de fausses solutions, certes réalistes mais qui ne transforment pas notre rapport à la nature, ni l’activité humaine qui l’épuise. Nous ne saurions donc qu’inviter à sa lecture : Pour une vraie responsabilité sociale. Clarifications, propositions, François Vallaeys, PUF, Paris, 2013, 282 pages.

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