Le langage, condition du travail ["Le travail contre nature"]
"Il faut une nouvelle pensée", par Gao Xingjian

En guise de préface : le retour à Ithaque ["Le travail contre nature"]

L’Odyssée pour moi s’achève ici. Sur Ithaque, le travail a bien changé, ou plutôt, mes yeux pour le voir ; un sentiment plus intime, plus profond, d’appartenir à l’humanité désormais m’envahit.

En quittant l’île il y a dix ans, j’avais mis dans les voiles le goût pour l’enquête philosophique et une énigme vivante, protéiforme, sur laquelle nous jetons un seul mot, alors qu’elle a tant de choses à nous dire. Le livre que vous avez entre les mains est le récit de ce voyage et de cette aventure, le récit d’une rencontre avec ce mot et l’histoire qu’il nous raconte dès que l’on est disposé à l’écouter : notre histoire.

L’intérêt du voyage, géographique ou intellectuel, c’est qu’il nous change autant qu’il nous transporte. J’étais parti de l’île avec une question océanique : comment comprendre le travail contemporain ? Mais j’avais aussi quelques cartes. Je pensais en effet que pour y arriver, il fallait l’avoir en tête, mais surtout aller voir ailleurs. Des sirènes à la voix grecque ou sémitique m’ont ainsi mené sur quelques terres antiques, d’autres vers le Moyen Âge, la Renaissance, la Modernité… La préhistoire, avec son voile d’ignorance troué de quelques vestiges matériels, et ces peuples qui encore récemment, voisins ignorés, vivaient dans un autre monde que nous, m’ont fourni également quelques refuges. Mais on ne saurait naviguer sans boussole. La philosophie pouvait l’être, à condition de se pencher aussi bien sur les faits et les textes ou les images qui les présentent, que sur les multiples sciences humaines qui les interprètent.

Chaque fois que j’accostais sur ces terres, de nouveaux occupants sont montés dans le navire que j’ai accueillis avec bonheur. Toutes les facettes du travail m’intéressaient ; elles m’ouvraient d’infinis et nouveaux horizons. Des idées auxquelles je n’avais jamais pensé auparavant me sont progressivement apparues évidentes. Deux d’entre elles ont pris de plus en plus de place dans le bateau, alors qu’au départ rien n’était prévu pour elles, ou presque. Les autres ont dû se serrer un peu… La première, c’est que le travail n’est pas que la réalité prosaïque et objective à laquelle nous sommes destinés en naissant, c’est tout autant un réseau complexe de valeurs qui nous rassemblent et nous divisent. La deuxième idée prend sa source dans le concept de travail : s’il est le rapport qu’entretiennent les hommes entre eux et avec la nature pour bien vivre, alors on ne saurait penser indépendamment l’un et l’autre. Le plus étonnant toutefois n’était pas dans cette prise de conscience, mais qu’elle fut nécessaire. C’est un impensé contemporain, ou plutôt un pensé séparé : le travail est une affaire d’hommes, et la nature le problème des écologistes – qui sont aussi des hommes je vous rassure, mais pas les mêmes.

Chemin faisant, l’Arche est devenue Babel. On pourrait croire que l’on y parle de tout. Alors j’ai essayé de mettre un peu d’ordre là dedans. J’ai divisé le navire en 4 sections, chacune d’entre elles sous les ordres d’une idée cheftaine commandant une série d’articles. La première est composée d’interrogations sur le mot et ses multiples acceptions. C’est le grand mérite de la philosophie que de ne pas les laisser partir sans avoir cherché à leur faire dire tout ce qu’ils ont nous à dire. La deuxième porte sur les valeurs que nous associons ou projetons sur le travail. Lieu potentiel de la polémique, elle s’ouvre sur un examen critique de la notion en elle-même et de ses usages, puis se poursuit par une illustration des multiples manières qu’elle a d’habiller le travail – de l’abîmer parfois. Dans la troisième section, j’ai rassemblé des articles sur les grandes mutations de notre rapport à la nature, que toutefois je n’ai pas voulu séparer des forces du travail qui les animent ou en sont le produit. Enfin, parce que la lucidité peut parfaitement se marier avec l’optimisme de l’action, je ne pouvais imaginer de ne pas embarquer quelques idées sur ce que nous pourrions faire pour réconcilier les hommes avec le travail et la nature. Elles sont rassemblées dans la quatrième section. Elles sont insuffisantes et incomplètes – pourrait-il en être autrement ? –, mais il y a toujours de la place pour de nouvelles ou de meilleures.

De retour à Ithaque, je peux maintenant faire débarquer les animaux de l’Arche. Certains boitent encore un peu, mais ils avancent ; ils ont ensemble quelque chose à nous dire. Pendant le voyage, ils ont entendu les sourdes menaces qui pèsent sur nos têtes. Ils ont vu que le Travail qui est la source anthropologique de la vie des hommes, se transformait en son contraire. Avec lui, en lui intimant de toujours produire plus, les hommes arraisonnent la nature. Mais si les coups qu’elle reçoit de nous la laissent au fond indemne, différente simplement, nous ne pouvons en dire autant de ceux qu’elle nous renvoie. Ce que ces drôles d’animaux ont à dire, c’est qu’il serait préférable pour les hommes de s’y prendre autrement, de changer de civilisation du Travail, pour retrouver sa nature profonde qui est de nous faire vivre en paix les uns avec les autres.

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 Si vous préférez lire la préface du travail contre nature sur une liseuse, vous pouvez la télécharger (fichier au format e-pub) en cliquant sur le lien ci-dessous :

                              Téléchargement De_retour_a_Ithaque

 

 

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